Avignon, le 1er décembre 2022.
Chère DNLP,
Tu ne te souviens sans doute pas de moi. Je suis un peu vexée, mais je ne peux pas t’en vouloir. Avec 150 000 tentatives de procréation médicalement assistée en France, chaque année : tu as bien d’autres chat…tes à fouetter.
Oui-oui. J’ai bien écrit « chattes ». Oui-oui, bien dans le sens auquel tu penses (petite cochonne). Oh ça va, hein, ne fais pas ta mijaurée. Après 8 ans à te fréquenter, je peux oser la familiarité (et, au passage, je préfère te prévenir : je ne suis pas du genre à mâcher mes mots, il va falloir t’habituer).
Je suis Anne-Laure Dumont, AKA PrincessePi. Mon pseudo de PMette. Comme Pi, 3.14. Un subtil (ou pas, rapport évident aux chattes susmentionnées), un subtil mélange de paillettes et d’irrationalité (PMette, toi qui me lis : la private joke sur paillettes, ne me remercie pas, c’est cadeau)(Et pour l'irrationalité, TMTC).
« PMette » ? Chère DNLP, sache que c’est le petit nom qu’on se donne entre nous, dans ton dos. Comme un cri de ralliement. Côté pile : un individu de sexe féminin engagé dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA). Côté face : un fragile système pendulaire oscillant, sans jamais s’arrêter, entre « y croire suffisamment » et « ne pas trop y penser ».
Tu as été assez fourbe, chère DNLP, pour me conduire doucement vers cette étiquette de PMette. J’ai eu le temps de m’y faire, on va dire. De bien l’incarner, mon étiquette.
Au début, presque comme tout le monde, j’ai arrêté la pilule. C’était en 2008. Youpi, le cœur léger et plein d’entrain, on allait faire un enfant, c’était aussi simple que cela.
Tu as dû bien tu te marrer, sous ta cape, va.
Car oui, au risque de te désillusionner, pour nous les PMettes, tu n’es pas « juste » Dame Nature, la merveilleuse nymphe auréolée de cheveux blonds, soyeux et scintillants, vêtue d’une vaporeuse robe en mousseline de soie. Cette incarnation, presque angélique, de la douceur, de l’abondance et de la bienveillance, au doux sourire, calme et apaisant.
Non. Pour nous, tu as plutôt un petit côté sorcière à cape, maquillée comme une voiture volée, à mi-chemin entre Cruella, la méchante belle-mère dans Blanche-Neige et Ursula dans La Petite Sirène (cette lettre n’est PAS sponsorisé par Disney. Mais je suis ouverte aux propositions. Dear Robert, si vous me lisez, on peut en discuter. À y être, je suis sûre qu’on pourrait illustrer une allégorie de la fertilité dans un film d’animation. Si-si. On tient un truc).
Bref, DNLP, tu es la grande prêtresse de la conception, toute-puissante et machiavélique.
Tu es, en toute simplicité : Dame Nature La Pute.
Ça claque, non ?
Nous voulions un enfant, donc. Mais, comme pour plus d’1 couple sur 6, ça ne fonctionnait pas.
Tu peux me croire, chère DNLP, mon côté rationnel se raccrochait à des éléments concrets, du plausible, du factuel. Je comptais, je recomptais : les jours de mon cycle, les fenêtres de tir (lucarne ou pas, qu’importe. Marquer, à tout prix. Tous les coups sont permis. N’en déplaise à Materazzi : coup de tête autorisé).
Statistiquement, 1 couple sur 2 termine son parcours de PMA sans bébé dans les bras. Je voulais tout faire pour que ce ne soit pas notre cas. Tout, oui. Même faire des câlins à des arbres ou essayer le lubrifiant magique faisant glisser les spermatozoïdes dans l’utérus comme une bouée dans le toboggan d'un Aqualand. Yee-ha !
Quand le secret est devenu trop lourd à porter, chère DNLP, j’ai ouvert un blog. Histoire de bitcher sur toi d’y déverser les pensées de mon cerveau sur le point d’exploser. De partager mes tribulations avec d'autres PMettes. Et d’arrêter, au passage, de briser — menu — les attributs de mon mari avec mes monologues mono-maniaques (j’ai vite compris qu’ils auraient un rôle à jouer, lesdits attributs).
Sans aucun filtre et soigneusement cachée derrière mon pseudonyme, j’ai tenu ce blog pendant 6 ans, de ma première insémination artificielle, à la fin de notre parcours de PMA.
Je vois d’ici ton air dédaigneux (on l’a dit que tu étais un peu suffisante sur les bords ?) : de quoi je me plains, franchement ? C’est vrai que, dans ta grande mansuétude, j’ai réussi à avoir non pas un, mais deux enfants, après tout. (C’est là que je dois dire merci ? Ok, ok : merci, voilà c’est dit, cœur avec les doigts et tout le toutim). Certes. Enfin, on ne peut pas dire que tu ne m’avais pas savonné la planche. 8 ans, bordel. Ça a pris 8 années.
Tu vas me dire, mais pourquoi je t’écris, précisément là, maintenant ?
Parce qu’en 2020, en complétant un document envoyé par notre laboratoire, je me suis prise, sans crier gare, comme un retour de flamme : le souvenir de ces 8 années à te côtoyer.
Touchée.
Début 2022, étape cruciale dans ma vie professionnelle qui rebat les cartes de ma vie tout court. Je comprends 1) que j’ai besoin d’écrire 2) que la page de la PMA est loin d’être tournée. J’ai des choses à dire. Pour exorciser. Pour révéler la vie, la vraie.
Coulée.
Chère DNLP, tu te croyais bien peinarde et que j’allais en rester là : 1 PMA, 2 enfants et basta ?
Spoiler alert : l’heure de la revanche a sonné. Je vais dire toute la vérité.
À mon tour de te faire saigner.
Et ton porte-avion en B3, là, fais gaffe, je vais te le dégommer.
💌 Prochain épisode : jeudi 8 décembre 💌