Avignon, printemps 2016 - printemps 2017
Chère DNLP*,
Je n’oublie pas d’où je viens. Jamais. J’y pense (souvent) quand je m’énerve (trop) après TED, « serial téteuse », insomniaque nocturne ET diurne (il semblerait qu’en commandant mon modèle de bébé synthétique au labo, j’aie loupé une ou deux case à cocher)(mais elle est trop chou, hein, j’ai décidé de la garder).
Parfois, dans les nuits sans sommeil, quand je somnole pendant la tétée, avec TED sur mon sein, je me fais la réflexion que, sur le quai, quand on attend, le temps semble s’étirer à l’infini. Et, une fois descendue du train avec son bébé dans les bras, il nous file entre les doigts (le temps, pas le bébé, chère DNLP, calme-toi et n’appelle pas l’ASE). C’est d’une banalité affligeante, mais la triste réalité.
La gifle
Les jours, les mois (puis les années) passent. Je prends une grosse claque dans la tronche. Et je ne m’attendais pas à ça. Pas que je pensais accoucher d’un bébé de catalogue qui ferait ses nuits au retour de la maternité. Non. Ma naïveté ne va quand même pas jusque là. Mais chère DNLP, je ne m’attendais pas à ce que tout soit à ce point… exacerbé.
Faut dire qu’en 8 ans, cette grossesse, puis cette maternité, j’ai eu le temps de les idéaliser. Voire de les fantasmer. Mais il semble que devenir mère ait révélé ce qu’il y avait de meilleur, mais aussi de pire en moi. Et j’ai du mal à incarner encore ce « nouveau moi ». Je l’avoue, impuissante : je n’ai pas eu vraiment le temps d’apprivoiser cette nouvelle version de moi, upgradée d’un coup au rang des primipares, en témoignent les cernes comme des valoches sous les yeux, les hormones sens dessus dessous, les seins débordant de lait, le cheveu pas lavé, et un déficit de sommeil comparable au trou de la Sécu.
Du jour au lendemain, il a fallu répondre présente pour TED, et m’oublier. Revoir mon niveau d’exigence à la baisse et me réjouir de simplement réussir à satisfaire mes besoins primaires.
Dormir (quand je peux grapiller quelques minutes de sommeil)
Manger (au sens d’ingurgiter de la nourriture pour combler mes besoins caloriques)
Être propre (autrement dit : avoir au moins les cheveux et les dents lavés).
Et j’exagère à peine.
Tout le monde s’attend à ce que je sois la joie incarnée, avec ce bébé qui a failli ne jamais arriver. Les injonctions implicites ou explicites fusent de tous côtés. « Sois heureuse, un peu, bordel ! ». Pas si simple, pourtant.
Me voilà désormais une MILK, la mère qu’on a envie de zigouiller avec son attache-tétine, encore plus parce que c’est une ancienne PMette. Encore plus parce qu’elle ose se plaindre que oui, elle déchante un peu. Qu’elle a beau avoir lu Bernadette de Gasquet, la pédagogie Montessori, le manuel du BabyCook, être calée en maternage proximal et en parentalité positive : c’est difficile, d’être mère, en vrai. Que personne ne l’avait préparé au tsunami. Qu’il s’agit du secret le mieux gardé de toute l’histoire de l’Humanité.
Je sais ce que tu te dis, chère DNLP, que je suis une chochotte. Que depuis la nuit des temps, des milliards de femmes ont vécu la même chose. C’est juste une phase à passer, le temps de s’habituer, de trouver ses marques. Surtout que j’avais décidé de profiter de mon bébé, et de ne pas reprendre tout de suite une activité professionnelle.
Un plan parfait
Je me rappelle de cette conversation visionnaire utopique avec mon mari, quelques mois en arrière, sur une plage, alors que j’étais enceinte de 3 mois : le plan initial, c’était de garder TED à la maison pendant 6 mois, puis de reprendre une activité professionnelle en septembre 2016.
MOUAHAHAHAHAHA.
...