Avignon, été 2017 - printemps 2018
Chère DNLP*,
Dans le vocabulaire des PMettes, il existe un verbe du premier groupe tout à fait inconnu du Petit Robert. Un verbe qu’on prononce du bout des lèvres, comme une parole sacrée, avec envie, parce qu’il fait fantasmer ; ou avec mépris, parce qu’on est sûr que ça ne nous arrivera jamais. Ce verbe, c’est “gertruder”.
Je vois d’ici ta mine interloquée, chère DNLP. Gertruder est une extension de l’expression « faire sa Gertrude ».
Alors non, rien à voir avec le fabuleux personnage de Robin des Bois, dame d'honneur de Belle Marianne (quoique dans un sens, ça pourrait 🐓🥚🐣, vise plutôt ⬇️).
Crédits : Robin des Bois, Walt Disney Productions, 1974.
(Note au passage, chère DNLP, que Dame Gertrude porte une ravissante robe bleue, qui n’est pas sans rappeler la fameuse blouse que j’ai si souvent eu l’honneur de porter à la clinique de PMA — celle ouverte dans le dos. Coïncidence ? Je ne crois pas)
Faire sa Gertrude, donc, c’est tomber dans le cliché du bébé-couette. Pas celui avec des élastiques dans les cheveux. (Je sais bien que tu as perdu l’habitude après 2 semaines d’interruption de courrier because la vie, mais suis un peu (bordel)). Le fantasme du bébé conçu naturellement après plusieurs traitements pour contrer une infertilité avérée.
Quel rapport avec la pauvre Gertrude qui n’avait rien demandé ?
Gertrude, c’est la cousine de l’amie de la boulangère, tu sais ? Celle qui « est allée voir un psy pour lâcher-prise / est partie en vacances / a quitté son job pour se consacrer à sa vie perso / a arrêté d’y penser » (rayer les mentions inutiles) et PAF, ça a fait des chocapics elle est tombé — miraculeusement— enceinte. Tout le monde en connaît vaguement une, de Gertrude. Elle est horripilante et un peu mystique, la Gertrude. Tu vois l’idée ?
(Dans les faits, d’après une étude de l’University College London, 20% des femmes ayant conçu un bébé grâce à une FIV tomberont enceinte naturellement dans les 3 ans qui suivent)
On prend les mêmes et on recommence
Depuis mon retour de couches en décembre 2016, l’homme et moi pensons sérieusement à un deuxième enfant. Oui, nous les grands malades heureux « détenteurs » d’une TED certes adorable, mais peu dormeuse, on se dit qu’il ne faut pas tarder.
Parce que, comme tu ne le sais que trop, chère DNLP :
mon horloge biologique tourne, je vais avoir 37 ans. Et vu le temps qu’on a mis à « produire » TED (8 ans, chère DNLP, est-il nécessaire de te le rappeler ?), il faut peut-être s’activer si on veut fabriquer un deuxième avant ma ménopause.
Et puis, il faut l’avouer, parce qu’on a peur de ne pas se survivre à un deuxième petit machin hurlant si on attend de se remettre complètement du premier.
Depuis mon retour de couches, donc, nous « essayons » vaguement, sans grande conviction, à cause d’un contexte un poil compliqué: voisins relous - bébé insomniaque - pas de place en crèche - achat de maison - travaux - revente d'appartement - fin de droits chômage - reprise en main de ma vie professionnelle, le tout couronné par ma tendance junkie-insomniaque qui se soigne à grand renforts d’anxiolytiques et un psy tout droit sorti de l’URSS des années 70. Contexte qui, tu en conviendras, ne favorise pas tellement le poney (tu te rappelles, chère DNLP ? Point d’équitation ici. En d’autres termes — tout à fait romantiques — , le poney c’est le sexe utile).
Vue notre vélocité à parvenir à nos fins pour un premier (2 grossesses spontanées, toutes deux foireuses, en huit années d’arrêt de pilule, mais je sais que tu sais, chère DNLP), pas tellement d’illusions sur notre capacité à procréer naturellement. Lors de la visite post-natale, celle où, chère DNLP, on est censé parler stérilet, reprise de pilule et tutti quanti, Le Créateur en avait même plaisanté : « Je ne vais pas vous embêter avec la reprise d'une contraception. Chez vous, Madame Dumont, vu le contexte, ça relèverait du miracle ! ». On en avait ri ensemble. À première vue, il semblait que je sois mon propre contraceptif. Parfait : après des années à bouffer pilule puis injections, à moi la liberté hormonale.
Le plan
Mais qu’importe notre capacité à y arriver tous seuls, il nous reste 2 paillettes de 2 blastocystes au labo de PMA. L’homme et moi sommes d’accord : deux paillettes, c’est deux potentiels transferts d’embryons décongelés à tenter.
Si ça ne donne rien, nous n’irons pas plus loin. Chère DNLP, nous ne mordrons plus à ton hameçon : finie la PMA « lourde ». Plus d’anesthésie générale, de ponctions, de risque d’hyperstimulation, de transferts qui capotent. Plus le courage, surtout avec TED dans les pattes. En cas d’échec de transfert, nous resterons à 3, bien conscients de la chance inouïe d'avoir déjà UN bébé dans les bras (tu vois qu’on n’est pas des ingrats !).
Au mois de mai 2017, TED a 14 mois et j’ai rendez-vous avec Le Créateur (qui porte un jean denim foncé et la même chemise orange que le jour de la naissance de TED) pour parler de planning et de transfert d’embryon.
Nous repartons le dossier PMA plein d’ordonnances pour traitements, prises de sang et spermoculture. Fin juin, une fois tous les examens réalisés aux dates prescrites, c’est J1 : je reprends les bonnes habitudes et je contacte Lolo, la secrétaire du Créateur. Et je comprends que, vu les dates de mes J1 et les vacances d’été du Créateur, si je ne veux pas avoir à faire à son remplaçant pour le TEC, il vaut mieux qu'on attende mon cycle du mois d'août. Chère DNLP, tu me connais : on n'est pas à 2 mois près et on veut Le Créateur, Celui qui fait avoir les bébés, notre mentor. Nous décidons d'attendre la fin de l’été.
En août, 3 séances de poney. Trois ! Et même pas dans la fenêtre de tir. 3 fois en tout sur le tout le cycle. 3 fois en dilettante, histoire de dire que (oui, chère DNLP, je sais qu’avoir une vie sexuelle quasi-monastique, à même pas 37 ans, c’est pathétique). J’attends mes règles, j’attends mon J1 pour pouvoir appeler Lolo et passer à l’étape suivante.
Dans la salle de bain, avec le chandelier gobelet
Au matin du lundi 28 août, je suis à J38. C’est le cycle le plus long de toute l’histoire de ma vie. J’ai eu mal au ventre toute la nuit mais toujours pas de J1. Je n’ai AUCUN symptôme de grossesse, mais, pour en avoir le cœur net, je me dis que je vais faire un test de grossesse. Ça tombe bien, il m’en reste un, qui périme dans un mois.
Je m’enferme dans la salle de bains, un vieux pot de conservation de lait maternel Avent à la main (propre, si tu te demandais, chère DNLP).
Pipi dans le pot. TED, qui visiblement ne comprends pas que POUR UNE FOIS, elle ne puisse pas me suivre dans les toilettes, tambourine contre la porte en criant « Mamaaaaa ! ». Face au bruit soudain, je sursaute. Et je fais tomber le gobelet dans les toilettes. Je récupère le gobelet. Lavage et rinçage de gobelet, essuyage de gobelet, lavage de mains, c’est reparti.
Je trempe la languette dans le test. L’urine remonte la bandelette par capillarité. Je n’ai même pas besoin d’attendre les 3 minutes réglementaires : il y a 2 barres très roses dans la fenêtre de lecture.
Deux.
C’est positif.
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