Avignon, 11 mars 2016
Chère DNLP*,
Je t’écris d’octobre 2023 et je n’en reviens pas d’être arrivée jusque-là. Non pas que je n’y croyais pas. Parce que je suis une fille qui va jusqu’au bout des choses (t’as vu). Mais quand j’ai commencé ta correspondance, il y a presque un an, j’étais surtout mue par le besoin quasi-viscéral (uh-uh) de tout mettre à plat, de raconter enfin cette histoire que j’avais, chevillée au corps, au fond de moi.
Le format épistolaire hebdomadaire m’a contrainte à avancer sur ce projet de manuscrit sur lequel je butais depuis des mois.
Même si je me suis appuyée sur des textes de blogs que j’avais écrits à cette époque-là, les relire, les réécrire, et, quelque part, redevenir cette fille-là, me replonger chaque semaine dans des épisodes comiques ou dramatiques de mon parcours de PMA, je ne vais pas te mentir, chère DNLP, ça n’a pas été un chemin facile.
Non. Au nom de la catharsis, tu m’as fait revivre ces moments difficiles.
Mais j’étais lancée, et j’ai tenu le rythme hebdomadaire tant bien que mal, malgré les remous de la vie (et les grosses secousses, aussi).
Raconter mon parcours singulier de PMA. Jusqu’à l’issue. Et l’issue, justement, nous y voilà.
« Bonjour bébé, tu es un miracle »
Tu peux trouver ça mièvre, chère DNLP, mais ce sont les premiers mots que j’ai prononcé à l’attention de mon bébé.
J’aurais pu dire, comme à l’accoutumée (et à mon corps défendant) : Un. Putain. De. Miracle.
Mais ça aurait fait mauvais genre vis à vis des 6 personnes qui se trouvaient dans ce bloc opératoire avec moi.
Non pas que je tenais à tout prix à accoucher en public, même si on m’appelait « Princesse Pi », à la grande l’époque, je n’ai jamais occupé le poste de Reine qui aurait pu me valoir le royal privilège d’avoir des témoins pour mettre bas.
Jeudi 10 mars 2016
Toute la nuit dernière, j’ai attendu un Miracle de la Nature. Des contractions. Une rupture de la poche des eaux. Un début de travail. Quelque chose.
RIEN.
TED est dans mon ventre à gigoter mais elle n’a pas l’air décidée. Elle est bien, là où elle est.
Toutes ces années à me lamenter que mon dedans de moi était inhospitalier. Puis toute cette grossesse à angoisser d’une prématurité. Pour arriver là, à 42 semaines d’aménorrhée, avec une Claudine postérieure, longue et bien fermée. Quelle arnaque.
Je suis peut-être une espère mutante. Un genre de PMette-éléphante.
Le risque d’accouchement d’un enfant mort-né est multiplié par 3 à 42 semaines d’aménorrhée, Le Créateur ne veut prendre aucun risque, alors aujourd’hui est prévu le déclenchement de mon accouchement.
8h
À en croire le magnifique stickers doré « mouettes et palmiers » sur le mur vert amande : Valérie Damidot est passée par cette salle d’accouchement, à n’en pas douter.
La sage-femme qui me prend en charge se présente. Je me garde bien de lui dire que son prénom, à une 1 voyelle près, est celui que nous avons choisi pour TED. Je suis superstitieuse chère DNLP, tu me connais, le prénom restera secret. Elle a l’air d’avoir 18 ans, elle est frêle et menue, et elle galère pour examiner Claudine avec ses minuscules mains quasi-juvéniles. Le Créateur passe nous voir, débriefe avec elle. Elle me pose un tampon de prostaglandine, pour ramollir Claudine.
6 heures passent et il ne se passe absolument rien. Enfin il se passe plein de choses, mais rien du côté de TED. On remet notre projet de naissance à l’équipe soignante, on remplit le dossier, mon mari fait les formalités d'admission à l'accueil, Le Créateur repasse nous voir, je fais du ballon, je me pends avec des sangles dans la salle nature, on parle à TED, on fait de l'haptonomie, on se promène dans tous les services (c'est la journée de sensibilisation au cancer colorectal, y'a des animations trop cool un peu partout dans la clinique, avec des brochettes de fruits frais gratis, mais même à quelques heures de la naissance, j'angoisse toujours trop de la toxoplasmose pour ne serait-ce que m’en approcher) et on fait des monitos. J’ai bien des contractions mais non douloureuses. On achète un sandwich à mon mari, j'ai droit à un plateau repas (haricot vert/poulet grillé) et on mange en tête à tête dans la salle d'accouchement.
Puis on décide d’aller marcher au soleil sur le parvis de la clinique. Entrant dans son cabinet, depuis la coursive du bâtiment d’en face, le Créateur nous aperçoit. Il lance « Alors ? » Je réponds « Rien ! », Il fait mine que je devrais courir et sauter. Mouais. Je désespère.
14h30
Je suis en train de faire du ballon dans la salle nature en écoutant de la musique zen quand soudain, j’ai enfin des contractions. J’en pleure : la prostaglandine fonctionne. À toi de jouer, Claudine.
Pendant 5h, j’ai des contractions toutes les 5 minutes. Ça pique. Je fais des belles courbes sur l'écran et de belles marques d'ongles dans les mains de l’homme. D’après les monitos, TED encaisse super bien.
La sage-femme juvénile essaye de me trifouiller pour examiner Claudine, elle ne s’en sort pas, avec ses petits doigts.
Dans la salle d’accouchement d’à côté j’entends Le Créateur encourager une PB à pousser. Puis des cris de bébés. Je ne peux m’empêcher de chialer.
Le Créateur passe juste après, tout content d’apprendre que mes contraction ont commencé. Il faut continuer d’attendre.
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