Avignon, été 2020.
Chère DNLP*,
J’ai un peu la pression parce que c’est la dernière lettre que je t’adresse. Voilà, c’est fini. (La chanson dans la tête, ne me remercie pas, c’est cadeau)(d’aucuns remarqueront que commencer cette correspondance avec des références Disney et la conclure par Jean-Louis Aubert prouve que j’ai un peu grandi, dans l’affaire)(quoique, je viens de vérifier, JL Aubert ne fait qu’un mètre soixante-dix)(Je m’égare. Elle commence bien, cette lettre).
Tu n’es pas sans savoir, chère DNLP, que j’ai un crush pour les nombres premiers. Au cas où tu ne serais pas aussi fortiche en mathématiques qu’en cassage de couilles (et autres mise de bâtons dans les ovaires), je te rappelle qu’un nombre est premier s’il n’est divisible que par lui-même ou par l’unité. Et nous voici rendues à la lettre numéro 47. Et 47 est premier. C’est parfait.
T’as eu c'que t'as voulu, même si t'as pas voulu c'que t'as eu
Il faut quand même que je te dise que « gertruder », après 8 ans de PMA et une grossesse FIV, était malaisant. Un peu comme cette histoire qu’on nous raconte de la sœur du mari de la boulangère de la cousine « et paf (ça fait des Chocapic), le bébé surprise ! ». J’étais devenu un cliché. Et, à moins de s’appeler Kim Kardashian et d’avoir un parfait fessier de silicone avec lèvres assorties, c’est difficile à assumer, d’être un cliché.
Après la naissance de Galipette, il y a eu le sombre, le très sombre. J’étais vraiment loin d'être la meilleure version de moi-même. Autant j’avais réussi tant bien que mal à garder la tête hors de l’eau pour TED, autant l’arrivée de mon deuxième enfant a coulé la planche de bois flotté à laquelle je m’accrochais (coucou Jack), emportant mes dernières résistances et, par la force des choses (AKA les nuits hachées, les pleurs, les sollicitations continuelles, les seins-citerne…), faisant voler en éclat le contrôle que je tentais de conserver. Mais je n’avais pas le droit de me plaindre, pas vrai, chère DNLP ? Après tout, je les avais voulu, ces enfants. Genre, vraiment.
Alors un burn-out maternel, sans déconner, je ne pouvais pas me le permettre.
Fucking ironie.
À la force de ma volonté et avec l’aide d’un coaching parental fabuleusement fabuleux, je m’en suis sortie. Non, je n’étais pas parfaite, mais j’aimais mes enfants, et je faisais de mon mieux avec les clés de l’instant. C’était déjà plus que suffisant. J’avais progressé (tavu) : pour la première fois de ma vie, j’étais assez.
Mais il y avait encore (au moins…) un truc sous le tapis.
Chaque année, nous recevions un courrier officiel de la part du labo de PMA, nous invitant à choisir le devenir de nos 2x2 embryons surnuméraires. Un courrier impersonnel avec 4 options possibles, listées en regard de cases à cocher : poursuite de la conservation (pour une éventuelle utilisation ultérieure), don à la recherche, don anonyme à un couple infertile, destruction. Chaque année, par défaut, nous cochions « poursuite de la conservation ».
Sauf qu’en France, les embryons surnuméraires congelés sont conservés 5 ans maximum. Nous sommes en août 2020. En d’autres termes, nos embryons congelés, issus de la FIV qui a donné TED, notre merveilleux génie synthétique, viennent d’atteindre leur date de péremption fatidique : ils ont 5 ans. Autrement dit, la poursuite de la conservation n’est plus une possibilité.
C’est le moment. Il va nous falloir choisir entre les 3 options restantes : les donner à la recherche, à un autre couple, ou bien, les détruire.
On va pas s'dire au revoir comme sur le quai d'une gare
TED a 4 ans et Galipette 2. Depuis le mois d’avril marquant la date anniversaire de ces 5 années, le labo de PMA nous a envoyé pas moins de 3 courriers : l’original et 2 relances. Et hier soir, l’homme et moi avons enfin complété ce courrier censé clôturer cette partie de nos vies.
Je pensais que la page serait facilement tournée, mais comme un "retour de flamme" et sans crier gare, je me prends, de plein fouet le souvenir des années de PMA, les larmes, les cris, les reproches, les déceptions, l'attente, la douleur, l'espoir, la joie, la peur, l'amour et enfin, la vie.
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