#48 - BONUS

Celui où je n'aurai pas le dernier mot

Chère DNLP
6 min ⋅ 30/11/2023

Nuage magique, jeudi 30 novembre 2023

Chère Anne-Laure,

Allez, ne fais pas la fille surprise. Tu m’as bien narguée avec ces 47 lettres que tu m’as envoyées. Croyais-tu vraiment que je resterais là, à encaisser sans broncher ? Je pensais que tu me connaissais mieux. Tu l’as BIEN assez évoqué. Donc, tu me déçois, chère Anne-Laure. 

Malgré tout, je dois te reconnaître une certaine audace. On parle de moi partout, la plupart du temps sans me nommer (je suis celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Voldemort m’a tout piqué), mais on m’écrit rarement. Surtout pas publiquement. Quelque chose de l’ordre du respect. Ou de la crainte d’un retour de bâton.
Toi, Anne-Laure, tu n’as visiblement pas eu peur. Même si ton audace confine quelque peu à l’inconscience.

 Je t’ai lue.
Ces 47 lettres, oui, je les ai toutes lues. Dieu que j’ai été patiente ! Parce que franchement, j’ai détesté ton insupportable et égoïste habitude de regarder ton histoire par TON côté de la lorgnette. Pas une seule fois tu ne t’es interrogée sur le mobile du crime. La raison qui fait que j’ai des tonnes de chattes à fouetter, pour reprendre une de tes expressions préférées (merci, d’ailleurs, je me la garde pour mon CV). Crois-tu que je fais tout cela de gaité de cœur ? Au risque de te surprendre, non. Je le fais parce que c’est mon rôle. Ma mission.

Pourquoi ? Grâce à moi, les naissances sont régulées, ça évite que votre Terre soit surpeuplée (déjà que). Dis-toi que c’est une forme de sélection naturelle 2.0. Un autre bénéfice secondaire, c’est, je suis bien sympa, de rendre service aux PMettes. Combien de couples d’infertiles ont implosé pendant un parcours de PMA ? Grâce à moi, validé, l’adage « Mieux vaut être seule que mal accompagnée » ! Et je pourrais te donner des tonnes d’autres raison, mais en voici une dernière : je donne des emplois à un paquet d’humains. Imagines-tu un peu tous les métiers qui se sont créés grâce à moi ? Des chercheurs, des gynécologues spécialisés, des biologistes, des laborantins et j’en passe.
Je ne pouvais pas te laisser dans l’ignorance, je me devais de t’ouvrir les yeux. Avais-tu pensé à ça ? Bien sûr que non, trop occupée à te regarder le nombril (haha), tu ne t’es jamais posé ce genre de question.

Et avec cet opus 47, sobrement baptisé « Adieu », tu comptais avoir le dernier mot, chère Anne-Laure ? Laisse-moi rire. Rire ET te corriger. Parce que, chère Anne-Laure, tu as oublié de mentionner un fait important. Je ne vais pas te laisser t’en tirer comme ça, petite insolente. 

Tu joues les brebis innocente ? Ne nie pas, je te vois, dominant le monde, omnipotente, depuis mon nuage magique. Rappelle-toi.
Nous sommes en 2023, ça fait donc quinze ans qu’on se côtoie.
En ce jour d’avril, chère Anne-Laure, j’ai décidé de m’amuser un peu. 
Avec toi.
Et je vais le raconter publiquement, moi aussi.
Juste là.

Samedi 8 avril 2023

Pour le sixième matin consécutif, ton fond de culotte est immaculé. Six jours de retard de règles, ce n’est pas rien. Une idée commence à infuser : serait-il possible que tu sois… enceinte ? À  quarante-deux ans ? Techniquement oui, chère Anne-Laure. D’autant que, petite effrontée, tu te targues de ne prendre aucun contraceptif. Comment l’appelles-tu, déjà ? Ton Créateur, oui, c’est ça. Créateur. Sans déconner. C’est moi qui crée. Lui, il ne fait qu’exécuter.

Ton Créateur, comme tu l’appelles, en avait d’abord plaisanté. Puis il avait vite vu qu’avec toi, il était inutile d’insister. Le stérilet ou la pilule, très peu pour toi. Soi-disant tu t’étais assez shootée aux hormones pendant toutes ces années. Soi-disant tu étais ton propre contraceptif, pas vrai ?

Six jours de retard. Comptant et en recomptant, tu commences à psychotter, te palpant les seins toutes les cinq minutes. Je vois que les réflexes deviennent vite et je ne suis pas peu fière, je dois l’avouer. 

Les pensées automatiques se bousculent dans ta tête. Tu te dis que Ton Créateur, consulté il y a dix jours pour le frottis bisannuel, l’aurait forcément remarqué. Enceinte, c’est juste impossible, pas vrai ? Je t’entends jusqu’ici : impensable. Improbable. Ton homme n’a rapporté aucun accident de préservatif et aucun écart de conduite hors de la safe zone n’est à signaler. 

Mais c’est le weekend de Pâques, alors, on n’est pas à l’abri d’un miracle, n’est-ce pas, chère Anne-Laure ? Serais-tu passée d’hypofertile inexpliquée à… hyperfertile ? La bonne blague.

J’envoie une pensée sournoise dans ton esprit. Force est de constater que, depuis ton retour de couches pour ta deuxième-née, tu n’as jamais eu plus d’un jour de retard de règles. Et surtout, surtout, depuis hier, tu as la nausée. Genre fort. Genre qui pourrait laisser penser à une grossesse naissante.

À te voir angoisser, je ne peux m’empêcher de rire dans ma cape (car oui, tu as vu juste, je porte une cape, lourde, longue et noire comme les nuits sans lune). Toi qui t’étais toujours dit que tu n’avorterais jamais parce que tu en avais trop bavé pour tomber enceinte. Tu commences à te demander ce que tu ferais. Avoir un enfant à 43 ans, serait-ce vraiment raisonnable ? Les nuits, les couches, les pleurs, la bouche collée au sein H24, le supporterais-tu encore ? Avec découragement, tu te dis que tu n’y arriveras pas. Et puis, tu le mettrais où, ce petit ? Il faudrait transformer la salle de jeux en chambre d’enfant. Un troisième enfant, vraiment ? Être 5 au lieu de 4, changer de voiture, modifier vos habitudes. Tu te projettes. Tu secoues la tête. C’est pas possible.

Il faut que tu fasses un test de grossesse.

Ce premier samedi d’avril 2023, en fin d’après-midi, tu te traînes à la parapharmacie, ton état de nausée t’empêchant presque de tenir l’équilibre sur ton vélo. Pour donner le change, tu achètes aussi quatre brosses à dents et du dentifrice pour tes enfants.

Tu déballes ton panier à la caisse. Tu fais peine à voir, avec ton air un peu honteux, telle une gamine prise en faute. Mais la pharmacienne ne semble pas s’étonner qu’une femme de plus de quarante ans achète un test. Elle a du en voir d’autres. Ou peut-être se dit-elle que tu l’achètes pour quelqu’un d’autre. Par exemple, pour ta fille. Cette pensée te file le vertige, car oui, si ta première grossesse n’avait pas été extra-utérine, tu pourrais avoir une fille en âge de paniquer des conséquences d’un rapport non-protégé. La nausée te reprend.

Non merci : tu n’as pas besoin d’une pochette en papier, tu fourres tout ça dans ton sac à main.

Enfourchant ton vélo, tu rentres dare-dare chez toi, le cœur battant. Tu as quarante-deux ans et tu es peut-être enceinte. Tu seras vite fixée.

Tes filles jouent dans le jardin pendant que l’homme s’occupe du gazon. C’est le moment propice. Tu files aux toilettes avec un verre propre et sec. Sans même prendre le temps de lire la notice (tu as de l’expérience en la matière, ne me remercie pas, cette compétence, c’est cadeau), tu déchires l’emballage d’aluminium. Retrait de culotte, pipi dans le gobelet.

Tu immerges la tige du test et tu attends. Pourvu que ce test soit négatif. Pour la première fois de ta vie, tu croises les doigts pour ça. C’est nouveau pour toi.

Dans la fenêtre, une barre rose s’affiche immédiatement en face du T.

Ton cœur rate un battement. Et moi, je ris sournoisement.

Je te vois déplier la notice, fébrile. Je te regarde chercher la rubrique d’interprétation des résultats. Je me frotte les mains. Interdite, tu regardes le test pour vérifier une seconde fois. Une barre en face du T mais rien en face du C. 

Autrement dit : invalide.

Tu trembles un peu et je te vois sourire faiblement de l’ironie de la situation : le premier fucking invalide de ta vie, oui. Maintenant. Sérieusement. Tu es vernie. Et moi, je ris.

Renfilant tes vêtement, tu te dis que tu ne peux pas en rester là. Il faut aller acheter un autre test maintenant, parce que demain, c’est dimanche et que lundi, Pâques oblige, est ferié.

Tu t’élances dans le jardin pour prévenir ton homme que tu dois ressortir, à demi-mot parce que les murs ont des oreilles, et tes filles particulièrement.

Tant pis pour la confidentialité, tu décides d’aller à pied à la pharmacie du bout de la rue, ce sera réglé en moins de deux. En marchant, je te vois lever la tête vers le ciel, implorant presque. Tu comptes et tu recomptes sur tes doigts, reprenant mentalement le calendrier de ton cycle. Ce serait vraiment pas de bol, pas vrai, chère Anne-Laure ? Surtout avec votre vie sexuelle (pitoyable) de parents fatigués.

Arrivant à proximité de l’officine, tu trouves la grille baissée.

Fermée. Entre vexation et stupéfaction, tu souris. Tu commences à te demander si tu n’es pas victime d’une caméra cachée. Ou d’un retour de bâton (coucou DNLP). C’est vrai, après tout, tu t’es lancée dans cette correspondance à sens unique pour me régler mes comptes. On est en avril, ça fait déjà 20 épisodes que tu balances sur mon machiavélisme. Et si j’avais décidé de me venger ? Tu commences à culpabiliser, et moi, je me délecte du comique de situation.

Tu fais un SMS à l’homme pour le prévenir que tu pousses à pied jusqu’à la prochaine pharmacie et qu’il faudra qu’il gère le bain des enfants.

500 mètres. Le temps d’essayer de respirer avec le ventre, d’accueillir la situation parce que de toutes façons, tu es résignée : les dés sont jetés. Tu entres et, au diable l’avarice, tu achètes non pas un, mais deux tests de grossesse. Chat(te) (mouahahahahaha) échaudée crains l’eau tiède. Ton sourire et le ton léger avec lequel tu te forces à communiquer font que la pharmacienne ne tique pas, elle se dit que tu te penses enceinte et que c’est une bonne nouvelle, que tu l’attendais, ce bébé.

Retour à la maison, rebelote, avec un verre propre.

Temps suspendu. Tu attends.

Négatif.
Tu attends encore 3 minutes de plus.

NÉGATIF. Tu pousses un ouf de soulagement.

Je te vois même rire dans les toilettes et me chuchoter que je ne te foutrai jamais la paix, que je n’en n’aurai jamais fini avec toi.

Effectivement.

Chère Anne-Laure, tu viens d’apprendre, à tes dépends, que ta « Chère DNLP** » ne sera jamais à la retraite.

D’ailleurs le lendemain, dimanche, tu as tes règles dès potron-minet.

Évidemment.


** Dame Nature La Pμte

💌 Cette fois, Chère DNLP, c’est VRAIMENT terminé 💌

Merci de votre présence ♥️

J’ai quelque chose à vous demander…
Accepteriez-vous de donner votre avis
sur Chère DNLP dans ce court questionnaire ?
Merci beaucoup !

Chère DNLP

Chère DNLP

Par Anne-Laure Dumont

42 ans, provinciale, mariée et mère de 2 enfants, dont une (au moins) conçue artificiellement. Autrice d’un blog de PMA pendant 8 ans. Je pensais la page tournée. Famille au complet. Clap de fin de PMA. Spoiler alert : on n'oublie pas. En tout cas, moi pas. Je n'ai pas envie d'oublier. C'est ce qui fait qu'elles sont "elles" et que je suis, moi. Et cette toute petite virgule a, en fait, une très grande importance.