#46 - Objet : Faire 4

Celui qui défie les lois élémentaires

Chère DNLP
8 min ⋅ 16/11/2023

Avignon, printemps 2018

Chère DNLP*,

Mon dernier courrier t’a laissée pleine de la mièvrerie classique de la dinde. Pourtant, ne va pas croire que la grossesse de Galipette est toute rose pour autant.

Je dois essuyer pas mal de RALC (AKA Remarques À La Con). Parce qu'on ne va pas se leurrer, les fertiles s'en sont donné à cœur joie. Tu penses, chère DNLP, l’occasion était trop belle pour ne pas en profiter pour étaler tout son savoir de fertile avec VAE infertilité, option « la fille de la voisine de ma boulangère ».

Tu es prête pour un aperçu, chère DNLP ?

Mon palmarès des Remarques À La Con

RALC #1 - « Comme quoi, il a suffit d'une grossesse et ça vous a débloqués »

Ça fait toujours plaisir d'apprendre qu'aux yeux de ceux-là, on était « bloqués » mon mari et moi. Les coincés de la braguette vous remercient. Allez, bisous !

RALC #2 - « C’est LOGIQUE, vous vous apprêtiez à refaire de la PMA pour le 2ème et ...PAF ! »

Et PAF… ça a fait des Chocapic ?

C'est quand même formidable, on a trouvé LA technique ULTIME. Oyez oyez ! Que toutes les PMettes qui ont eu un premier par FIV se réjouissent : il suffirait donc de simplement se préparer à remettre le couvert pour tomber de nouveau enceinte ! 

RALC #3 - « C’est normaaaaal / je le savais / c'est qu'entre TED, les travaux, le déménagement, la vente de votre appart, ton coaching pro : vous avez arrêté d'y penser ! »

Alors ok, je suis JUSTE légèrement OPK, et mon mari JUSTE légèrement subnormal. OK, on est bien des infertiles inexpliqués. Mais je t'assure que pendant 8 ans, il y a eu des occasions où on est partis en vacances (même loin, même longtemps) / où on a arrêté d'y penser / où on a été bien occupés et ça n'a pas marché pour autant. 

Et puis là, typiquement, on s'apprêtait à faire un TEC. Donc c'était à l'ordre du jour, quand même. Donc on y pensait, tu vois. Mais ça fait toujours plaisir qu'on nous renvoie encore dans les dents que c'était simplement dans la tête. Les psys que j'ai vus tout ce temps seraient RA-VIS de savoir qu'ils étaient incompétents. 

RALC #4 - « Oh mais c'est TOUJOURS comme ça ! Regarde, la fille de la cousine de ma coiffeuse (AKA Gertrude), pareil ! Et la femme de la collègue de bureau de mon mari, aussi ! On en entend PARTOUT des histoires comme la vôtre »

Évidemment, ces statistiques de haut niveau se basent sur des faits réels, concrets et éprouvés. Ils omettent juste la majorité silencieuse (80% des femmes ayant eu un premier par FIV qui ne parviennent pas à tomber enceinte naturellement ensuite) : celles et ceux qui ont galéré pour le premier et qui pourtant ne gertrudent pas après, ceux qui ont une infertilité constatée médicalement et qui auront beau essayer, ne pourront techniquement jamais gertruder.

RALC #5 - « Et je parie que cette fois, tout va bien ? Les problèmes que tu avais eus pour ta première grossesse (aka les kystes aux plexus choroïdes et l'artère ombilicale unique) c'était uniquement parce que c'était un embryon de laboratoire. »

Écoute, je suis ravie de constater que tu as fait médecine entre la poire et le fromage, et que tu as réalisé une étude comparative sur les anomalies anatomiques des embryons issus de FIV ICSI vs les autres. J’espère que tu es calée aussi en pédiatrie ? Car dorénavant, je t’appellerai pour tous les petits bobos de mon génie synthétique de laboratoire, afin d'avoir ton diagnostic. Trop pratique !

RALC #6 - « C’est génial, car au moins, celle-là, elle aura été faite comme il faut ! »

Cette RALC a fait mal. Très mal. Parce qu’elle est sortie de la bouche de ma propre mère. J’étais là, dans l’entrée de la maison familiale, accroupie tant bien que mal avec mon gros ventre, en train d’enfiler ses chaussures à TED, quand tout à coup : BIM. J’avoue, je ne m’y attendais pas. Surtout pas venant d’elle. J’ai buggé.

J'aimerais bien savoir (quoique : parler de sexe avec ma mère, chère DNLP, jokeeeer), c'est comment « faite comme il faut » ? Qu'est-ce qu'elle en sait, ma mère ? Peut-être que la conception de Galipette c'était à l'arrache, comme des sauvages, en deux-deux sur un coin de machine à laver, cycle essorage, même pas épilée (moi, pas la machine à laver ; suis un peu, bordel) ? Certes, je ne suis pas allée le vérifier en personne, mais l'équipe labo qui s'est occupé de notre FIV ICSI pour TED a dû utiliser des gants, un microscope, un endroit stérilisé… Faire tout « comme il faut », en somme. Non ?

Et entre nous, faite comme il faut (ou pas), plus je regarde TED grandir, s'épanouir, rire, parler, nous surprendre et faire toutes ces choses trop mignonnes et épatantes qui la rendent totalement unique, plus je me dis que je n'aurais pas voulu d'une autre TED. 
Il y a 10 ans, quand j'ai fait ma GEU, ça n'aurait pas été cet embryon-là. Ça n'aurait pas été elle non plus quand j'ai fait ma FC, ou pour tous ces échecs sur cycle naturels, d'IAC, de FIV, de transfert...  C'est elle, elle est là, elle est merveilleuse et rend notre vie si heureuse. Non, je n'aurais définitivement pas voulu d'une autre histoire.

Préparer l’aînée

Ce qui est sûr, c’est que, pour faire tout comme il faut (sic), nous préparons TED à l’arrivée de Galipette. Vers mes 25SA, TED commence à verbaliser spontanément tout ce qu'elle fera avec « petit bébé maman », tout en comptant sur ses doigts : « Lire Mozart » (son livre musical préféré), « donner bibi », « dodo avec doudou et tétine » et le fameux « bébé tout nu, mets habits : pyjama body » qui nous fait beaucoup rire. TED semble particulièrement inquiète du fait que Galipette soit toute nue dans le ventre de maman et en sorte donc… toute nue. Vite, vite, la parer de son plus beau pyjama, en bonne apprentie fashionista.
C’est à peu près à cette période qu'elle ajoute sa future petite sœur dans le câlin familial rituel du soir avant le coucher « Câlin fort papa, maman, TED ET petit bébé », et à faire des caresse à mon ventre, en collant sa bouche et en disant « coucou petit bébé », ce qui me fait instantanément fondre.

Je pensais que tout allait se passer comme sur des roulettes, chère DNLP. Jusqu’à ce que TED et moi rendions visite à ma meilleure amie qui vient d’accoucher. Je suis à 28 SA. À un moment, pour que ma copine puisse avoir les mains libres, elle me confie son bébé, juste quelques instants. Et, sans crier gare, avec ce nouveau-né de 15 jours dans les bras, TED me fait une crise de jalousie accompagnée de pleurs à chaudes larmes, avec bras tendus vers moi “veux mamaaaaaaaa”, tête enfouie dans mes jupons. Inédit.

Je prends conscience qu’il est temps de bien expliquer, car bientôt, arrivera la fin de l’exclusivité de l’attention. L’apprentissage de la vie, ok, mais un choc pour TED, ma grande sensible, qui a décrété avec beaucoup de sérieux un jour qu'elle avait « peur du beurre » (?).

Je me documente beaucoup et j’en parle avec ma sage-femme. Bannir le « tu dois être drôlement contente d’avoir une petite sœur ! », injonction génératrice d’un malaise possible chez l’aîné, qui pourrait se sentir inadapté d’avoir une réaction en inadéquation avec les attentes de l’adulte, et donc, avoir peur de le décevoir. Préférer « Toi, tu sais déjà faire des choses de grande, alors que petite sœur ne sait encore rien faire toute seule et donc il faut beaucoup s'occuper d'elle ».
J’explique que l’amour ça grandit et qu’il y a de la place pour tous nos enfants dans le cœur de papa et maman. Je lui montre des photos d’elle bébé, à la maternité. Je décide qu’on s’organisera pour accorder des moments en tête-à-tête à TED, quand Galipette sera là.

Et bien sûr, j’agrandis la collection de livres de TED avec une sélection pointue. « Il y a une maison dans ma maman » que je termine chaque fois avec des sanglots dans la voix. Et celui conseillé par ma sage-femme, « Mes premières découvertes Galimard - Le bébé » aux illustrations un peu ringardes, mais avec un intéressant jeu de transparents. Un jour, je surprends TED en train d’en faire la lecture à son doudou. Elle est sur la page « le ventre de la maman tout rond » qui devient « le bébé dans le couffin » quand on tourne le transparent. TED commente « Ça y'est bébé il est né, tout petit. Fais dodo petit bébé. Et ventre maman tout plat maintenant ! » (si seulement. Mais, chère DNLP, même celui de Kate Middleton, tu l’as fait un peu pendouiller). 

Après une présélection de 4, nous laissons à TED le soin de choisir LE doudou du trousseau de maternité (une pieuvre). En lui expliquant que c’est elle qui lui offrira à la maternité. Et nous fabriquons une boîte surprise de grande soeur à TED, remplie de cadeaux pour elle, qui l’occuperons à la maternité et au retour à la maison, que mon mari lui offrira. Certains préfèrent dire que c’est le bébé qui est venu avec. Mais vu la taille de la boîte et la forme de mon ventre, impossible de tromper TED, le génie synthétique.

Tous les matins de TED commencent par « Tout à l'heure papi mamie venir voir TED, papa maman avec docteur à maténité pour petite sœur ! », alors, sur les conseils d’une blogueuse, je bricole une poutre du temps d’inspiration Montessori que j’installe à sa hauteur dans sa chambre, pour aider TED à se situer sur le calendrier. Je colle des images au dessus des dates théoriques de l’accouchement, du séjour à la maternité, mais aussi des éléments de son quotidien : jour de crèche, de bibliothèque, de parc pour aller nourrir les canards, photo d’elle et papa en tête à tête pour mon séjour à la maternité, et photo de papi et mamie avec elle. Chaque jour, TED déplace la pince à linge sur le jour de la poutre du temps. Et elle est beaucoup plus détendue.

Et j’attends et j’attends, ce qui changera mon présent (baby)

Et maintenant, j’attends que Galipette arrive. Je croise les doigts pour une voie basse cette fois, car, utérus cicatriciel oblige, l’hémorragie serait trop risquée et le déclenchement d’accouchement, impossible. J’essaye l’homéopathie, l’acupuncteur, la sophrologie. Galipette s’est retournée depuis longtemps mais ce matin, à 40 SA tout pile, chère DNLP, tu n’es toujours pas de mon côté : Claudine est encore longue, postérieure et bien fermée. Le Créateur parle quand même de « bonne présentation clinique » et dit qu’on se revoit en salle d’accouchement. Il n’y a plus qu’à.

48h avant le terme théorique, j’ai des contractions. Je les monitore, je croise les doigts. J’attends.

42 SA. L’homme a déposé TED chez ses parents hier soir. Dans la nuit, les contractions se sont intensifiées mais le miracle ne s’est pas produit. C’est la sonnerie de mon alarme qui me réveille ce matin. Je prends une douche à la Betadine et nous nous rendons à la maternité pour une césarienne. La deuxième. Sur le parking, une épiphanie. Nous changeons d’avis sur le prénom prévu pour Galipette, inversant son prénom principal et son deuxième prénom, nous faisant la réflexion qu’en fait, elle s’est toujours appelée ainsi. Avant même que nous osions rêver à un deuxième enfant.

J’enfile la fameuse bleue ouverte dans le dos et on me pose un monito. Je suis calme. Galipette encaisse très bien les contractions. Le Créateur m’accueille en salle d’accouchement dans Son pyjama de bloc assorti à Ses yeux. Il semble contrarié : Lui, pariait vraiment sur la voie basse. Moi, je suis détendue, je connais déjà les gestes. Mon mari pourra être auprès de moi, tout va bien aller. C’est la même aide-opératoire, Nathalie, qui me prend dans ses bras pour faire le dos rond pendant que l’anesthésiste pose la rachi-anesthésie. 

Et finalement, le 11 mai 2018 à 10h06, 1+1 font 4. Note, chère DNLP, que le deuxième génie et moi, on a bien fait les choses : le 11, un nombre premier, et, de surcroît, 11 comme sa soeur (notre génie synthétique). Avoue que c'est commode pour s’en rappeler, étant donné mon âge avancé.

Au bloc, on me pose longuement Galipette sur le sein et elle tête, c’est magique. La première chose que je lui dis c’est « Bonjour bébé, tu es un cadeau ». Chère DNLP, un miracle il y a deux ans, puis un cadeau, maintenant, je suis gâtée.

Contrairement à ma césarienne pour sa sœur, je retrouve la mobilité de mes jambes très rapidement. Et le soir même, je réussis à me lever en claudiquant malgré la cicatrice qui me plie en deux (et, il faut le reconnaître, chère DNLP, après avoir hurlé à l’homme en pleurant “Je vais creveeeeeeeeeeer !”). Je connais déjà la douleur déchirante des tranchées sur utérus cicatriciel, et je ne m’étonne pas, j’accueille. Cette fois-ci, ma montée de lait n’est pas capricieuse. Je ne cède pas aux injonctions des sages-femmes proposant des biberons de lait maternisé. J’ai confiance, mon corps suivra. Tout est si naturel, malgré le contexte médicalisé. Je ne suis plus nullipare. Et ça change visiblement tout. J’ai plus de confiance en moi.

TW “mièvrerie”, le retour

Il y a cette vidéo que je fais de l’homme portant TED dans ses bras au-dessus du berceau transparent de Galipette, âgée de 2 jours, qui dort, emmitouflée dans son nid d’ange, repue. TED découvre sa petite sœur pour la première fois et lui donne le doudou qu’elle a choisi spécialement pour elle. L’homme approche TED de sa sœur. TED lui fait un bisou sur le front en disant « Est toute petite petite ! », constatant « Là, a pas mis la sucette ».

L’homme qui explique à TED « Maintenant, on est une famille : Maman, Papa, TED, et petite sœur. Tous les 4 ». TED regarde sa soeur dans son berceau en disant « Veux faire un câlin, aussi ». L’image tremble un peu parce que je suis toute émue. 

Vingt minutes plus tard, il y a cette vidéo de moi, en tailleur dans le lit, les cernes aux creux des yeux, le sourire doux, avec mes deux enfants contre moi. Galipette au creux du bras droit, TED assise sur mon genou gauche.

Est vraiment toute petite !

(3 kilos 850 grammes, tout de même. Un bon petit rôti sans vernix, je t’assure que mon vagin de jeune fille dit merci à cette 2ème césarienne)

Moi, demandant à TED — « Elle te plaît ? »

TED, acquiesçant d’un hochement de tête — « Oui ! », puis se penchant sur elle, la serrant maladroitement dans ses petits bras potelés « Câlinnnnn ! ». Je fonds.

Je dépose un baiser sur le front de Galipette « mon petit bébé », mon cadeau, puis sur celui de sa sœur « mon grand bébé », mon miracle. Et je pleure un peu. 

Oui, je pleure un peu. 
Car, Chère DNLP, contre toi, j’ai fini par gagner.

Il y a un deuxième enfant sur notre livret de famille.
Ça y’est, nous sommes complets.

Ce soir, L’homme rentre à la maison avec TED. Galipette et moi restons en tête-à-tête à la maternité.

4 jours rien que toutes les deux.
4 jours de douceur.
4 jours de bonheur.
À se découvrir. 

Et à s’aimer.

Je vais savourer car, oui, pour la deuxième fois, chère DNLP, contre toi, j’ai gagné.



* Chère Dame Nature La Pμte

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Chère DNLP

Chère DNLP

Par Anne-Laure Dumont

42 ans, provinciale, mariée et mère de 2 enfants, dont une (au moins) conçue artificiellement. Autrice d’un blog de PMA pendant 8 ans. Je pensais la page tournée. Famille au complet. Clap de fin de PMA. Spoiler alert : on n'oublie pas. En tout cas, moi pas. Je n'ai pas envie d'oublier. C'est ce qui fait qu'elles sont "elles" et que je suis, moi. Et cette toute petite virgule a, en fait, une très grande importance.